Évaluer les entreprises du Numérique : un vrai casse-tête mais pas sans solution

Par Dominique Adenot et Dominique Andrieux


Il y a cinquante ans, évaluer une entreprise consistait pour l’essentiel à inventorier ses actifs tangibles, dégager les plus ou moins values éventuelles et retrancher les dettes.

Une première bascule est intervenue il y a une trentaine d’année avec la montée en puissance des actifs intangibles qui aujourd’hui représentent souvent plus que les actifs tangibles.

L’exercice était certes plus délicat que celui de la pesée des actifs matériels mais on pouvait le sécuriser en triant soigneusement entre ceux de ces biens bénéficiant de droits contractuels et légaux, et donc facilement identifiables, et ceux plus flous que l’on retrouve génériquement sous le vocable de Goodwill.

Avec les entreprises du numérique, l’évaluation est entrée dans une troisième dimension.

Ces entreprises présentent au moins trois caractéristiques qui en font de véritables ovnis : elles ont très peu d’actifs tangibles ce qui rend inopérante l’approche patrimoniale, leur business-model est disruptif ce qui rend difficile la comparaison, elles sont déficitaires pendant de longues années ce qui rend presque impossible l’évaluation par actualisation de flux.

Et pourtant ces entreprises ont une énorme valeur, les cinq plus grandes capitalisations boursières mondiales étant des entreprises du numérique.

Cette nouvelle économie perturbe les évaluateurs que nous sommes parce qu’elle nous oblige à réviser toutes nos certitudes comme par exemple la loi des rendements décroissants.

La seule façon de s’en sortir est de tracer une frontière temps entre la période de démarrage et celle de décollage.

En période de démarrage, disons-le d’emblée, aucune méthode traditionnelle ne convient.

Cela n’est pas grave puisque l’on constate que la valeur donnée à l’entreprise par ceux qui vont y investir relève d’une conviction, déconnectée de toute base économique.

Notre conseil est donc de ne pas se lancer dans une évaluation puisqu’au bout du compte seul prévaudra le raisonnement suivant : si l’investisseur croit dans le projet il apportera l’argent qu’il faut pour le développer, et s’il n’y croit pas peu importe la valeur qu’on lui donnera.

Illustration : en premier tour de table si le projet a besoin de 500 000 € pour avancer, et qu’un consensus se crée autour de l’idée que les fondateurs doivent garder un contrôle de 70% sur leur société, cela induit que la valeur pre-money de l’entreprise sera de 1,166 millions d’euros. Simple et efficace !

Certains diront que les venture capitalists sont fous, et d’autres qu’ils sont trop généreux avec des sociétés qui n’ont encore rien prouvé. Ce n’est évidemment ni l’un ni l’autre.

Nous en voulons pour preuve la mise en place, concomitamment à ces levées de fonds, de garde-fous juridiques : actions de préférence, BSA ratchet, clauses de bad leaver, etc…. destinés à se protéger d’éventuelles erreurs d’appréciation.

Mais une fois la période de démarrage terminée avec un prototype au point, le décollage est imminent.

L’évaluateur d’une entreprise du numérique peut alors entrer en piste avec sa palette d’outils traditionnels tout en en privilégiant l’actualisation des flux et l’approche par comparaison.

Mais encore faudra-t-il intégrer au raisonnement le risque de mauvaise exécution du business-plan car dans le secteur du numérique plus que dans d’autres, les incertitudes sont immenses.

C’est pourquoi nous conseillons vivement aux évaluateurs d’appuyer leur démonstration sur la méthode des options réelles permettant de caractériser les opportunités rencontrées par la société au fil de son développement.

C’est d’ailleurs tout le talent de ceux qui ont réussi que d’avoir su faire évoluer leur idée initiale pour prendre en compte les attentes réelles et pas simplement supposées du marché.

En créant une librairie en ligne, Amazon n’imaginait pas devenir le premier commerçant de la planète, et Facebook devenir une agence de presse ou de marketing.

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En résumé on peut dire qu’aux premiers stades de développement c’est le potentiel du projet qui commande l’enveloppe de financement qui elle même donne sa valeur à la société. Et ce n’est pas un rapport d’évaluation, fut-il brillamment documenté, qui fournira des raisons d’y investir.

Ce n’est qu’ensuite une fois les premiers clients captés, et leur comportement savamment scruté, que les fondateurs de l’entreprise du numérique pourront convoquer les évaluateurs.

Ces derniers auront avantage à mettre en oeuvre les deux méthodes incontournables que sont les comparables et l’actualisation des flux. Mais l’incertitude étant dans ce secteur plus grande que dans d’autres, les scenarii retenus et les taux d’actualisation proposés devront être bien calibrés.

Mais encore faudra-t-il que les professionnels retenus pour la mission aient la modestie de se souvenir que l’évaluation est un instrument heuristique produisant une simple opinion et pas une calculette financière donnant un résultat scientifique.

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